Afrique de l’Ouest : Gestion des migrations en Côte d’Ivoire et au Niger

 Introduction

En 2019, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recensé 8,4 millions de migrants1 en Afrique de l’Ouest. Moins de 10 % d’entre eux se rendent en Europe. Contrairement aux idées reçues, l’essentiel des migrations est donc sud-sud, voire intra régional : 84 % des migrants ouest-africains se dirigent vers un autre pays de la sous-région. Les flux migratoires dans la sous-région sont dominés par des mouvements partant des États enclavés du Sahel vers les pays du littoral. Le profil migratoire de chaque pays est cependant différent : la Côte d’Ivoire et le Nigeria, deux États côtiers, accueillent le plus de migrants, avec respectivement 2,6 et 1,3 millions de Maliens, Sénégalais, Burkinabés et Guinéens2 . Le Mali et le Burkina Faso, pays enclavés, sont quant à eux d’importantes terres d’émigration. Près de 10 % de la population burkinabè et 7,6 % des Maliens vivent en dehors de leur pays d’origine3 . Enfin, d’autres États servent de zone de transit. C’est le cas du Niger, devenu un important pivot pour les migrants souhaitant gagner la Libye, l’Algérie ou l’Europe. Le Sénégal, quant à lui, est à la fois une source importante d’immigrants, d’émigrants et un point de transit. Il existe également des corridors migratoires entre certains États comme l’illustre le cas des migrants burkinabè qui privilégient l’émigration4vers la Côte d’Ivoire. Considérant que la majorité des flux migratoires s’opère au niveau sous-régional, l’objectif de cet éclairage est de comprendre la manière dont les pays ouest-africains abordent la question des migrations sur leur territoire. Nous commencerons d’abord par évoquer les principales causes des migrations au sein du sous-continent africain. Ensuite, nous analyserons l’approche adoptée et les mesures mises en place par l’organisation sous régionale ouest-africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Enfin, nous nous pencherons sur les politiques d’accueil et de contrôle des migrations développées par la Côte d’Ivoire, à la fois pays d’accueil et d’émigration, et le Niger, pays « de transit ».

  1. Principaux facteurs de migration au sein des pays de la CEDEAO

Plusieurs études menées par des organisations internationales comme l’OCDE et l’ONU5 identifient principalement trois facteurs à l’origine de l’émigration en Afrique de l’Ouest. Le premier est d’origine socio-économique6. Un grand nombre de migrants sont en effet à la recherche d’un meilleur avenir, ce qui leur est difficilement accessible vu le chômage structurel et une mobilité ascendante limitée dans leur pays d’origine. D’après une enquête de l’OCDE menée en 2017, à la question « qu’est-ce qui vous pousse

à migrer vers un autre pays ? », 86 % des Ivoiriens ont répondu « un meilleur salaire ou la possibilité d’envoyer de l’argent à mon foyer » 7 . Les Nigériens sont également pour la plupart des migrants économiques peu qualifiés fuyant les difficultés structurelles du secteur de l’agriculture et le manque de perspective d’emploi dans leur pays. Contrairement à la croyance répandue, ces migrants économiques ne sont pas originaires des pays les plus pauvres et ne migrent pas principalement vers les pays « plus riches » en Europe. En effet, les migrants ouest-africains qui optent pour l’Europe proviennent en majorité des pays qui bénéficient d’un certain développement économique, comme la Côte d’Ivoire7 . Quant aux deux autres facteurs déterminants qui peuvent mener à l’émigration, il s’agit de l’insécurité et des problèmes environnementaux. Précisons que les personnes fuyant les conflits ou les persécutions politiques ont tendance à se réfugier dans les pays limitrophes. En ce qui concerne les problèmes environnementaux, il s’agit pour les personnes de fuir les conséquences directes de catastrophes naturelles ou les conséquences indirectes du changement climatique comme la perte de productivité agricole, de capital économique et de revenu8 . En Afrique de l’Ouest, la question des migrations a longtemps été considérée comme un phénomène positif historiquement ancré, ne nécessitant peu ou pas d’action étatique9. Néanmoins, les pays de la sous-région ont progressivement pris conscience de l’importance de porter attention aux flux migratoires. En 2017, le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, identifiait les migrations comme « l’un des trois défis majeurs qui auront un impact important sur l’avenir de notre planète et sur les relations entre l’Europe et l’Afrique » 11. Les instruments légaux et de contrôle aux frontières se sont alors développés afin de mieux encadrer les migrations, protéger les migrants10 et prévenir les trafics en tout genre (armes, drogues, êtres humains)13.

II- La gestion des migrations à l’échelle régionale : la CEDEAO

Dès sa fondation, la CEDEAO érige la libre circulation en un de ses principes fondateurs. Elle signe six protocoles entre 1979 et 1993, établissant entre autres le droit d’entrée, l’abolition du visa pour un séjour de moins de 90 jours ou encore le droit de résidence au sein des États membres de la CEDEAO.  Elle souhaite « pallier les effets disruptifs de la création arbitraire de ses frontières »11et définit les migrations comme un phénomène positif permettant d’enrayer chômage et pauvreté12. Ces protocoles ne font toutefois que consacrer des flux migratoires déjà existants en opérant une « légitimation par le haut des migrations intrarégionales »13. La CEDEAO coopère également avec l’Union africaine14 et ses partenaires internationaux afin de « fournir un cadre permettant d’améliorer la gouvernance de la migration de main-d’oeuvre au sein de la région »18 . Dans les années 2000, certaines études15 ont noté un changement de stratégie de la CEDEAO et une influence de la politique migratoire européenne : dans son Approche commune sur la Migration de 2008, elle privilégie entre autres « le contrôle et la restriction des migrations interrégionales, et particulièrement vers l’Europe, au détriment de la consolidation de la liberté de circulation intrarégionale »16, menant au renforcement des contrôles aux frontières internes de l’espace ouest africain. Plusieurs réunions, à l’instar de celle d’Abuja en 2017, ont ainsi eu pour principal objectif de « freiner les départs des ressortissants de la CEDEAO », conduisant certains à dénoncer le non-respect des engagements africains en raison de la pression des pays européens17. Si les différents protocoles de la CEDEAO ont en partie favorisé les migrations au sein de la sous-région, l’absence de mécanismes de régulation juridiquement contraignants et de sanctions mène à une mise en oeuvre seulement partielle de l’harmonisation entre la législation régionale et les législations nationales. L’ambition de la CEDEAO d’établir une zone de libre-circulation se heurte en effet à la volonté de ses États membres, dépendant de leur contexte national respectif. En outre, on peut noter que 46,7 % des migrants en Afrique de l’Ouest sont des femmes18 exposées à des risques spécifiques comme le harcèlement et l’exploitation sexuelle. En 2015, la CEDEAO a tenu à souligner la question du genre à travers un plan d’action « Genre et migration »19. Cependant, cette question est restée en pratique très peu abordée du fait du manque de mécanismes d’application du texte et de suivi à l’échelle nationale20 .

 La Côte d’Ivoire face à un double enjeu : l’immigration et l’émigration

Avec 2,6 millions de migrants recensés par l’OIM en 2020, soit environ 10 % de sa population, la Côte d’Ivoire est le pays qui en héberge le plus en Afrique de l’Ouest21. Les migrants sont originaires de principalement trois pays limitrophes et du Bénin : 56 % viennent du Burkina, 19,8 % du Mali, 5,8 % de Guinée et 2,7 % du Bénin22. La plupart d’entre eux sont employés dans le secteur de l’agriculture, de la pêche ou de l’industrie et sont peu qualifiés. Dès son indépendance en 1960, la Côte d’Ivoire promeut l’immigration sur son territoire pour répondre à la demande de main-d’oeuvre, principalement dans le domaine agricole. Ainsi, de nombreux Burkinabés, Guinéens ou encore Libériens s’installent dans le pays.

Le pays établit des instruments juridiques, comme des accords bilatéraux sur la libre circulation des personnes et des biens, notamment avec le Mali et le Sénégal27, et met en place des mesures incitatives comme l’accès à la propriété foncière ou aux services sociaux afin de rendre le pays attractif pour les travailleurs28. Conformément au protocole de 1986 de la CEDEAO, la Côte d’Ivoire garantit l’accès à une activité économique pour tous les ressortissants de la sous-région29. Cependant, à partir des années 1990, l’instrumentalisation du concept d’ « ivoirité »23, couplé à une crise économique, mène à l’émergence d’un discours hostile envers les étrangers et l’instauration de mesures restrictives en matière d’immigration31. Ces mesures reviennent ainsi sur les politiques libérales des décennies précédentes, mettant en cause « les droits précédemment acquis »32. En 1998, le Conseil économique et social ivoirien publie un rapport dans lequel il énumère les conséquences négatives de l’immigration sur l’équilibre démographique, socioéconomique et sécuritaire du pays, témoignant de l’approche hostile de l’État ivoirien envers les étrangers à cette époque. Depuis 2002, dans un contexte de résolution de la crise socio-politique et avec la volonté « d’être à nouveau un pôle attractif de la sous-région »24, la Côte d’Ivoire impulse une nouvelle vague de mesures de libéralisation en matière d’immigration, amendant certaines lois promulguées lors de la décennie 199025. En 2013, le Parlement ivoirien vote un projet de loi nommé « régime spécial en matière d’acquisition de la nationalité », permettant « aux personnes qui vivaient sur le territoire ivoirien avant 1961, à celles nées en Côte d’Ivoire de 1961 à 1972 et à leurs descendants nés par la suite dans le pays, d’obtenir la nationalité ivoirienne par simple déclaration ». À partir des années 2000, alors que la Côte d’Ivoire est encore peu touchée par le phénomène d’émigration, les crises post-électorales de 2002 et 2010-2011 poussent des milliers d’Ivoiriens à quitter leur pays26. Les Ivoiriens fuyant les violences électorales se réfugient surtout dans les pays limitrophes, un scénario qui s’est reproduit en octobre 2020, lorsque 8 000 Ivoiriens, se sont réfugiés au Liberia, au Ghana et au Togo27. Désormais, la croissance économique de la Côte d’Ivoire a permis à de nombreux Ivoiriens de supporter les coûts du périple migratoire vers l’Europe, à la recherche de meilleures perspectives d’emplois et de vie. Ainsi, en 2016, 13

000 Ivoiriens sont recensés sur les côtes italiennes, représentant une augmentation de 230 % par rapport à l’année 201528. La Côte d’Ivoire fait donc face à un double enjeu : l’immigration et l’émigration. Pourtant, le pays ne possède pas de politique migratoire globale29 et les acteurs en charge de la gestion migratoire sont fragmentés entre six ministères différents30 . Plus précisément, le volet émigration a suscité un intérêt moindre et plus tardif de la part du gouvernement ivoirien que celui de l’immigration. L’OIM avance deux facteurs explicatifs31 : premièrement, l’immigration étant un enjeu significatif pour le pays, elle a occulté les questions d’émigration.

Deuxièmement, l’idée selon laquelle l’émigration des Ivoiriens est un phénomène limité est largement répandue au sein de la classe dirigeante ivoirienne. Néanmoins, le pays a créé une Direction générale des Ivoiriens de l’extérieur dont l’objectif est « l’assistance aux Ivoiriens qui vivent à l’étranger en encourageant et en coordonnant les initiatives visant leur regroupement » et « la promotion de leurs intérêts et leur protection »32. Afin de favoriser les retours de ses émigrants, la Côte d’Ivoire a également lancé des mesures incitatives comme l’octroi d’argent liquide et un accompagnement administratif33. De 2016 à 2019, le ministère de l’Intégration africaine et des Ivoiriens de l’extérieur a rapatrié plus de 5 000 personnes, principalement de Libye, mais aussi du Gabon et d’Angola avec la participation de l’OIM34. Cependant, d’après une enquête menée en 2017 par l’OCDE et le Centre Ivoirien de recherche économique et sociale, près d’un migrant de retour sur trois envisage d’émigrer à nouveau l’année suivante35. En effet, ils se heurtent toujours aux mêmes causes, le plus souvent d’ordre professionnel et financier, les poussant à quitter le pays. De plus, l’État ne dispose pas d’une politique coordonnée d’aide au retour, ce qui entraîne des problèmes de réintégration sociale et de chômage.

  1. Le Niger : un pays de transit

Le Niger est un État aux dynamiques migratoires complexes. En termes d’émigration, l’OIM compte 402 000 Nigériens vivant en dehors de leur pays en 2020 et recensait 294 000 migrants dans ce pays enclavé du Sahel, soit 1,3 % de sa population36. Le Niger est principalement un pays de transit pour les migrants souhaitant rejoindre des États nord-africains tels que la Libye et l’Algérie ou l’Europe. Dès les années 1990, la ville d’Agadez, aux portes du Sahara, devient un pivot pour les migrations, faisant du passage de migrants la principale activité économique de la ville. Dès 2013-2014, en raison de la crise libyenne et malienne et de la fermeture de routes migratoires en Mauritanie ou au Sénégal, le Niger s’impose comme le principal État de transit pour les migrants ouest-africains37. Le phénomène de migrations circulaires – consistant en des allers et retours entre le Niger et un pays d’accueil – y est fréquent47. Selon l’OIM, les destinations principales des Nigériens sont les pays limitrophes (37,8 % au Nigeria, 12,6 % en Libye, 8,3 % au Bénin) et la Côte d’Ivoire (12,4 %). Cependant, l’émigration vers certains pays, notamment la Libye devient de plus en plus difficile : en 2012, en raison de la crise ayant débuté l’année précédente, l’OIM a compté le retour de 114 000 Nigériens. À l’instar de la Côte d’Ivoire, le Niger ne possède pas de politique migratoire nationale. Quatre ministères – principalement celui de l’Intérieur et des Affaires étrangères – traitent respectivement des questions de l’immigration et de l’émigration. L’émigration est essentiellement traitée sous le prisme des contributions potentielles que pourraient apporter les migrants nigériens au développement économique et social du pays38.

Des mesures ont été prises afin de favoriser le recours à des canaux officiels pour les flux d’argent entrants, ainsi que la création de guichets de dépôt dans les principaux pays d’accueil de la diaspora nigérienne. Par exemple, en 2006, dans son plan d’action de la stratégie de développement rural, l’État nigérien prévoit des actions afin d’encourager la diaspora nigérienne à investir dans le développement en milieu rural. La question de la gestion de l’immigration et du transit de migrants a connu deux phases au Niger. Jusqu’en 2015, elle est abordée sous l’approche du laisser-faire39: les routes migratoires suivent les routes nationales et les autorités ne prennent pas en charge les migrants sur le territoire nigérien40. Le contrôle des frontières est très faible et l’équipement et le personnel mobilisé sont limités. À Agadez, héberger ou transporter des migrants est considéré comme une activité économique normale et l’armée nigérienne elle-même accompagne les transports de migrants jusqu’à la frontière libyenne41. Cependant, en 2015, face à une hausse des arrivées de migrants sur son territoire, le Niger s’impose rapidement comme un partenaire stratégique de l’Union européenne en raison de son rôle clé comme pays de transit. L’UE conditionne alors une aide au développement à l’engagement du Niger à limiter les flux migratoires vers les côtes nord-africaines. En mai 2015, sous la pression de l’UE et en raison de l’émoi national suscité par le décès de 92 migrants (incluant femmes et enfants) dans le Sahara, l’État nigérien adopte la loi 2015-36 qui a pour principal objectif de « prévenir et combattre le trafic illicite de migrants »42. L’année suivante, cette nouvelle loi aboutit à la mise en place de mesures répressives comme l’établissement de barrages en des points intérieurs du territoire nigérien afin de bloquer l’accès à Agadez43, permettent ainsi de réduire en partie les migrations au sein du territoire national. Alors qu’en 2016, 445 000 migrants ont traversé la frontière entre le Niger et la Libye ou le Niger et l’Algérie, l’année 2017 a connu une diminution de 62%. Toutefois, différentes recherches44 soulignent que ces mesures répressives ont contribué à fragmenter les routes migratoires, renforçant la vulnérabilité des migrants, forcés à prendre des routes plus dangereuses dans le désert afin d’éviter les contrôles45. Elles mènent également à un effondrement des activités économiques dans la ville d’Agadez générant la perte d’environ 6 000 emplois46 (bien qu’un plan de reconversion, jugé insuffisant par beaucoup, ait été développé par l’UE), poussant les passeurs à

agir dans la clandestinité47. Enfin, ce nouveau cadre juridique, ainsi que ce dispositif répressif vont à l’encontre du principe de librecirculation de la CEDEAO, rognant les libertés fondamentales des Africains de l’Ouest48. Si certains dénoncent l’ingérence de l’Union européenne dans la politique migratoire nigérienne49, les autorités du Niger justifient les mesures de répression des migrations par le lien avéré entre passage de migrants et trafic d’armes et de drogues50 .

Conclusion

En Afrique de l’Ouest, des actions ont été entreprises en matière de gestion des migrations au niveau régional et national. Au niveau régional, la CEDEAO a adopté une série d’instruments juridiques visant à atteindre son objectif de libre-circulation au sein de la sous-région. Cependant, étant donné que ces protocoles ne sont pas juridiquement contraignants, leur application par les quinze États la composant n’est que partielle. Par ailleurs, bien que conscients des enjeux liés à la régulation des flux migratoires, les États de la sous-région ne considèrent généralement pas les migrations comme une priorité politique51 . Des mesures visant à restreindre les flux migratoires ont été néanmoins mises en oeuvre par les pays de la CEDEAO, reflétant dans certains cas un contexte politique et économique défavorable à l’arrivée de nouveaux migrants comme en Côte d’Ivoire, ou une pression subie par des partenaires internationaux comme au Niger. Pourtant, si ces restrictions ont permis de limiter en partie le nombre de migrants qui s’installent et transitent sur leur territoire, elles ne permettent pas un meilleur encadrement du phénomène des migrations dans la sous-région. Le plus souvent, les migrants empruntent de nouvelles routes migratoires, parfois plus dangereuses, vers des pays dont la législation est moins contraignante. Ainsi, depuis 2019, les départs de migrants du Sénégal vers les îles Canaries sont en pleine recrudescence : en 2020, près de 18 000 migrants ouest-africains sont arrivés aux îles Canaries, soit sept fois plus qu’en 2019.

L’exploitation du pétrole dans le Parc National des Virunga : une bataille gagnée ou une trêve stratégique pour les tenants de l’exploitation pétrolière

L’exploitation du pétrole dans le Parc National des Virunga : une bataille gagnée ou une trêve stratégique pour les tenants de l’exploitation du pétrole

I . Le combat de la lutte contre  l’exploitation  du Pétrole  dans le PNVi

En effet,  le Parc national des Virunga, www.virunga.cd, ( PNVi)  présente une diversité d’écosystèmes immense, allant des sommets enneigés des Monts Ruwenzori et des volcans actifs du massif des Virunga aux marécages du Lac Edouard, aux forêts afro montagnardes et à la savane. Il abrite une immense biodiversité qui comprend notamment le gorille des montagnes, mais aussi des okapis et des éléphants,  sans conteste, le PNVi  est un véritable «  paradis terrestre »  et les historiens l’appelle « huitième merveille du monde »

Malheureusement,  malgré les valeurs exceptionnelles du PNVi,  d’une part et  contrairement  à la loi N°11/009 du 09 Juillet 2011 portant principes fondamentaux relatifs à la protection de l’environnement dont  l’article 33  alinéa deuxième dit que «   est nul tout droit accordé dans les limites des aires [protégées] et zones [interdites],  SOCO, une entreprise pétrolière britannique  avait obtenu une licence d’exploitation du pétrole dans ce site du Patrimoine Mondiale et site de Ramsar jusqu’au point de terminer avec les activités d’exploration.  .

Heureusement, grâce  aux efforts conjugués par les communautés locales, les organisations de la société  civile et de la communauté internationale,  SOCO s’est retiré de l’exploitation du pétrole dans  le PNVi  le 11 juin 2014. Certains ont qualifié ce retrait comme la victoire, prouvant que  la bataille est gagnée  et qu’il n’y a plus des menaces pétrolières dans le PNVi   et pourtant d’autres  pensent  que c’est   une trêve stratégique pour les tenants de l’exploitation du pétrole  et la menace  est  devenue  encore plus grande.

C’est ainsi que,  dans le cadre de  la mise en œuvre  du Nouveau Pacte pour la Nature et les Personnes conduits par la plateforme « African Network of Young Leaders for Peace and Sustainable Development , www.anyl4psd.org» (ANYL4PSD/ND4NP) ,  et dont  AICED, Appui aux Initiatives Communautaire de Conservation de l’Environnement et de Développement   durable, https://anyl4psd.org/focal-point-organizations/      et  https://www.youtube.com/watch?v=LmoIAcQWkUY  est  non seulement le  point focal  de la plateforme  ANYL4PSD, mais aussi est  impliqué dans le processus d’implémentation de ce nouveau pacte pour la Nature en République Démocratique du Congo , s’est penchée à cette question afin d’évaluer les menaces ou non de l’exploitation du pétrole dans   PNVi  pour que  ce dernier garde toujours sont statut de site du Patrimoine de l’UNESCO.

II. Les avancées   et les  faiblesses  dans la guerre  contre l’exploitation pétrolière  dans le PNVi

 2.1 Les avancés

 La compagnie pétrolière britannique SOCO International   a annoncé ce 11 juin 2014 qu’elle mettait un terme à toutes ses activités dans le Parc national des Virunga. Elle s’est aussi engagée à rester loin de tous les autres sites inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

La compagnie rejoint SHELL, TOTAL et le Conseil international des mines et métaux (ICMM) qui se sont engagés à ne pas entreprendre de prospections pétrolières ou ouvrir des exploitations minières dans des sites du patrimoine

2.2 Les faiblesses

Le Comité du patrimoine mondial avait déclaré ceci : «  Nous espérons que le gouvernement de la RDC donnera suite à cet engagement de la SOCO et annulera tous les permis d’exploration accordés à l’intérieur du Parc national des Virunga. »  Malheureusement jusqu’à présent aucun contrat pétrolier n’a jamais été annulé par une ordonnance présidentielle.

III. La victoire contre  l’exploitation pétrolière  dans le PNVi : une trêve stratégique pour le  tenant de l’exploitation du pétrole ;

Après les retraits  de SOCO dans le PNVi, les partisantes de l’exploitation pétrolière ont profité de cette trêve   afin de bien s’armer même sur le plan juridique.

3.1 Un soubassement  juridique  de l’exploitation pétrolière dans les aires protégées

La  Loi n° 15/012  du 1ier août 2015 portant régime général des hydrocarbures   donne la possibilité d’exploitation pétrolière dans les aires protégées, car à son article 155
il est dit ce qui suit  «  L’exercice des activités d’hydrocarbures en amont est interdit dans les aires protégées et les zones interdites.
Pour cause d’utilité publique, un décret délibéré en Conseil des Ministres peut, après audit environnemental, enquête publique et avis de l’établissement public chargé de l’évaluation et de l’approbation de l’étude d’impact environnemental ainsi que du suivi de sa mise en œuvre, autoriser tes activités d’exploration dans les aires protégées et zones interdites.
En cas de découverte d’hydrocarbures, il pourra être procédé à l’exploitation, après déclassement de tout ou partie des aires protégées et zones interdites
Ce déclassement aux fins d’activités d’hydrocarbures se fait conformément à la loi. »

Sans conteste,  cet article 155, donne un soubassement  juridique  de l’exploitation pétrolière dans les aires protégées.  Il est à noter que SOCO avait terminé avec l’exploration pétrolière dans le Lac Edouard, il a déjà des données sur la quantité des pétroles dans ce lac  et nous craignons  que cela soit capitalisé par le gouvernement  ou d’autres entreprises pétrolières.

Dans la même veine, cet article 155 susmentionné  met en cause même le statut du PNVi comme site du Patrimoine Mondiale. Cela  semble concrétiser les intentions des politiques congolais visant à  mettre en cause le statut légal du PNVi comme site du Patrimoine Mondiale.  En titre illustratif, nous citerons le propos d’un ancien ministre des hydrocarbures, Monsieur Crispin Atama Tabe qui avait déclaré   « L’adhésion de la RDC à l’UNESCO ou le fait de confier la gestion du parc des Virunga comme patrimoine mondial n’enlève en rien la souveraineté de la RDC sur cette portion de terre »,[1]

Cette crainte est aussi partagée par l’UNESCO et l’UICN dans le rapport   où il est  dit que : «  malgré la nouvelle loi sur la conservation  de la nature de 2014, il semble que certains choix liés à la l’exploitation des ressources naturelles dans les aires protégées par certains secteurs gouvernementaux (ex : exploitation pétrolière) risque de d’entrainer  la remise en cause du statut légal du  de protection de bien » ( recommandation des  missions  de l’ UNESCO/UICN au PNVi   du 23 au 28 avril 2018  page 11)

3.2   La position du gouvernement n’a pas changé face à l’exploitation du pétrole

Refus d’annuler les permis d’exploration accordés à l’intérieur du Parc national des Virunga

Le fait que le Gouvernement de RDCongo n’a pas  appliqué  la recommandation de l’UNESCO,  consistant à  annuler tous les permis d’exploration accordés à l’intérieur du Parc national des Virunga,  nous pousse à confirmer que la position du gouvernement n’a pas changé face à l’exploitation du pétrole dans le PNVi.

l’appel d’offre publié visant l’attribution de 19 blocs pétroliers

Le jeudi 28 janvier dernier, Monsieur Rubens Muhima, le ministre de l’Energie et des Hydrocarbures de la République démocratique du Congo (RDC), avait  annoncé que le pays comptait proposer 19 blocs d’exploration de pétrole et de gaz au marché, au cours du dernier trimestre de cette année. Neuf de ces blocs sont situés dans le bassin central du pays, trois dans le bassin côtier terrestre, quatre dans le bassin du lac Tanganyika et trois dans le lac Kivu.  Il s’agira, selon le Ministre,  du premier appel d’offre international pour des blocs d’exploration pétrolière dans le pays  et que  la mise en place  de ce  programme est régie par le nouveau code pétrolier adopté en 2015.

Selon le journal agence ecofin [2]  , « la dernière proposition de périmètres à explorer, a couvert des zones situées dans des espaces protégés comme le parc des Virunga. »

Cette annonce  et le fait que  la dernière proposition de périmètres à explorer couvrent  des zones situées dans  le PNVi,  ne montrent-il pas   le gouvernement de la RDCongo  n’a pas renoncé à ses projets d’exploitation pétrolière dans les aires protégées ?

Exploitation du pétrole en Ouganda  un précédent  pour les politiques de  la RDCongo

parmi les  arguments  que les politiques  de la RD Congo avancent  pour justifier l’exploitation du pétrole dans le lac Edouard qui fait partie du PNVi  est le  fait  l’Ouganda  qui partage les eaux du Lac Edouard  et Albert a déjà commencé l’exploitation pétrolière  dans le lac Albert même si cela  est  impacterait négativement  sur plusieurs parcs nationaux  et notamment celui de Murchisson Falls, le plus grand par de l’Ouganda.

En outre,  l’Ouganda,  la Tanzanie et les compagnies pétrolières françaises Totale et chinoise CNOOC ont signé ce mois d’avril 2021  plusieurs accords, qui ouvrent la voie à la construction de l’oléoduc qui transportera le brut ougandais vers un port tanzanien et cela malgré l’opposition des  des acteurs de la protection de l’environnement.  Avec ses 1 443 km de long, ce sera le plus long oléoduc de pétrole brut chauffé au monde. Il acheminera l’or noir extrait du lac Albert en Ouganda au port tanzanien de Tanga avant son exportation, notamment vers des sites du groupe Total ou vers la Chine. La construction de ce pipeline sera assurée par le géant français des hydrocarbures et le groupe chinois CNOOC. Coût estimé de l’opération : 3,5 milliards de dollars. Un investissement qui se justifie par l’importance des réserves repérées en 2006.  Au total, 6,5 milliards de barils de brut reposent sous les eaux du lac Albert, dont environ 21% sont récupérables dans l’état actuel des découvertes. Ce qui équivaut pour l’Ouganda à une exploitation de 25 à 30 ans, avec un pic de production de 230 000 barils par jour. [3]

 Le président tanzanien John Magufuli  avait parlé d’un d’un accord qui va « non seulement créer des emplois, mais aussi promouvoir la coopération régionale et le développement économique des zones traversées par l’oléoduc. »  Plus précisément, les autorités tanzaniennes estiment que 10 000 emplois seront créés grâce à la construction de l’oléoduc.[4]

L’exploitation du pétrole  en Uganda  dans les eaux qu’il partage avec la RDCongo  et avec la construction de cet oléoduc peut être un précédent que peut capitaliser le gouvernement congolais  afin d’autoriser l’exploitation du pétrole  et surtout que cette  exploitation  en Ouganda se passe à coté des aires protégés pour justifier que l’exploitation du pétrole  est compatible avec  la protection des écosystèmes sensibles comme le PNVi  et surtout que rappelons-le,  l’entreprise pétrolière SOCO avait terminé avec l’exploration pétrolière  dans les eaux du lac  Edouard la partie congolaise  et détient  les données sur de la quantité des pétroles  dans  ce lac et qu’il n’a jamais publié.

3.4 Les actions de la Plateforme ANYL4PSD pour lutter contre l’exploitation du Pétrole dans le PNVi 

Les plaidoyers

Ayant compris que le menace d’exploitation du pétrole sur PNVi est devenu encore plus grande qu’avant  d’une part et comme en RDCongo, il ya d’autres blocs contenant des réserves du pétrole en dehors des aires protégées,  la plateforme ANY4PSD de la RDCongo a mené des actions des plaidoyers  demandant l’annulation de contrats d’exploitations pétrolières déjà livrés,  la cessation des autres contrats d’exploitations  ultérieure  tout en attirant l’attention des autorités sur la controverse de l’article 155 de la  Loi n° 15/012  du 1ier août 2015 portant régime général des hydrocarbures  notamment le plaidoyer  suivant  :

« La Loi n° 15/012 du 1ier août 2015 portant régime général des hydrocarbures   donne la possibilité d’exploitation pétrolière dans le lac Edouard qui fait partie d’une aire protégée : une incompatibilité avec votre vision sur la protection de la biodiversité et  avec  les  autres dispositions  de la République,  et demande  de votre implication personnelle pour annuler le  permis d’exploitation dans  ce lac »   dans la lettre N°03/ANYL4PSD/RDC/10/2020   du 28/10/2020  que nous avions adressé à  Son Excellence Monsieur le Président de la République.

 « L’exploitation du Pétrole dans le Lac Edouard est une menace  pour les zones humides dont dépend    la survie  des communautés  riveraines,  une  violation de  la constitution et de la convention de  RAMSAR :  demande de l’annulation des permis d’exploitation  pétrolière dans  le PNVi »  dans la lettre N°01/ANYL4PSD/RDC/02/2020  du 02/02/2021  que nous avions adressé à Son Excellence Monsieur le Président de la République.

[1] https://www.radiookapi.net/environnement/2013/09/11/exploration-du-petrole-dans-les-aires-protegees-la-rdc-repond-global-witness

[2] https://www.agenceecofin.com/exploration/1702-85302-fin-2021-la-rdc-va-pour-la-premiere-fois-lancer-un-appel-d-offres-pour-des-blocs-petroliers

[3] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210412-la-construction-du-pipeline-g%C3%A9ant-entre-la-tanzanie-et-l-ouganda-sur-la-bonne-voie

[4]  https://www.afriquemedia.tv/afrique/accord-pour-la-construction-d-un-oleoduc-entre-la-tanzanie-et-l-ouganda

Ce plaidoyer  sur les zones humides  était passé à la radio Okapi  avec le Journaliste Marc Marofimbo ,  radio de l’ONU en RDCongo

ANYL4PSD : Journaliste Marc  Morofimbo de la Radio Okapi , radio de l’ONU en RDCongo

Ce même plaidoyer  sur les zones humides était relayé par la radio communautaire  riverain du PNVi appelé  radio communautaire  la vérité

Monsieur  Dunia  membre de la plateforme ANYL4PSD dans le studio de la Radio communautaire  la vérité

« Insécurité persistante dans le PNVi :  demande de  l’évaluation de l’application   du   décret  portant création d’un corps chargés de la sécurisation des parcs nationaux et réserves  naturelles apparentés   afin  de protéger les  écosystèmes de PNVi ,   les personnels de  l’ICCN, les communautés riveraines et pour  promouvoir le tourisme,  pilier du développement durable » dans la lettre N°02/ANYL4PSD/RDC/03/2021  du 01/03/2021  que nous avions adressé à Son Excellence Monsieur le Premier Ministre.

Ce plaidoyer sur l’insécurité grandissante dans le PNVi était publié dans le site de la radio Okapi, radio de l’ONU en RDCongo https://www.radiookapi.net/2021/03/04/actualite/societe/insecurite-persistante-dans-le-parc-des-virunga-un-collectif-des-ong

Dans la poursuite de ce même plaidoyer ci-haut, nous avions contacté monsieur  Kisuki Mathe Benoit qui est le commandant  adjoint en charge de l’Administration Finance et Logistique  du corps chargés de la sécurisation des parcs nationaux et réserves  naturelles apparentés (CorPPN)   .  Le commandant nous  a montré les avancés du CorPPN   et les défis  auxquels  fait face CorPPN  et  de quelle façon  nous, société civile pouvons contribuer à l’application du CorPPN

Approche «  jeunesse anti pétrole » dans le lac Edouard

AICED  a pensé   qu’il faut  préparer la jeunesse dans les  écoles du milieu riverain du Lac Edouard    sur les conséquences néfastes écocides  et irréversibles de  l’exploitation du pétrole dans le Lac Edouard ».  En outre,  la mission du 11-21 août 2007 de l’UNESCO/UICN au PNVi avait proposé  que « ce sont les populations locales qui pourront par la suite influencer les autorités politiques et administratives pour qu’elles appuient les initiatives en faveur de la  conservation »  et pourtant la jeunesse constitue une force non négligeable pour influencer les autorités politiques en matière de lutte contre l’exploitation du pétrole  dans le PNVi , d’où notre approche «  jeunesse antipétrole »  autours  des Virunga.  Une fois  cette jeuneuse  formée,  elle pourra transmettre ces valeurs à d’autres  et ainsi  on aura une  « génération antipétrole »  dans le Virunga.  AICED forme ces jeunes dans la production des plaidoyers contre l’exploitation du pétrole dans le Lac Edouard qui fait partie du PNVI

Le club de la Jeunesse  « antipétrole »  dans le Lac Edouard

4. CONCLUSION

Sans conteste,  la lutte contre l’exploitation du pétrole dans le PNVi a connu un grand succès avec le retrait  de SOCO.  Néanmoins,   cette victoire  contre  l’exploitation pétrolière  dans le PNVi  a était    est une trêve stratégique pour le  tenant de l’exploitation du pétrole.  Les gouvernements  en a profité pour légiférer des  soubassements juridique  afin non seulement d’exploiter les pétroles dans les aires protégées mais aussi de mettre même en cause le statut légal du PNVi comme site du Patrimoine Mondiale, c’est qui est encore plus grave.

5. RECOMMANDATIONS ET PERSPECTIVES D’AVENIR

Comme ce sont les aires protégées  notamment le Parc National de la Salongo et le PNVi qui sont respectivement dans le bloc IV et V du rift albertin,   qui sont menacées par  l’exploitation  du pétrole, la plateforme ANYL4PSD de la RDCongo  va étendre ces actions de plaidoyers aux autres aires protégées  y  compris les tourbières.  Et cela en demandant :

  • Au du gouvernement l’annulation de tous les permis d’exploration pétrolières  accordés à l’intérieur  dans les aires protégées  et les tourbières  au niveau National ; 
  • demander au gouvernement de ne pas octroyer d’autres concessions d’exploitation pétrolière dans les aires protégées ;
  • faire de plaidoyer  contre les éventuelles modifications des limites  des aires protégées  conformément à l’article 155 susmentionné afin de faciliter une activité d’exploitation pétrolière.   

Nyebone  Faustin

Directeur  Exécutif  National  AICED, Point Focal    ANYL4PSD/ND4NP en RDCongo